dimanche 26 août 2012

Des ponctuations de l'os du monde


Dans La Reprise, de 1843, Kierkegaard dit l’essentiel de  ce que le for intérieur peut, hors l’expectoration d’un objet, la fabrique esthétique, pour dire un rapport au temps qui assure à l’être son unité au monde des temps, des disjonctions des commencements et des termes qui fondent l’existence.
Et ce que le for intérieur, ce que l’intime peut en la matière, c’est se « reprendre », c’est à dire atteindre l’os de ce qui fut pour y travailler, sous la dictée d’une « condition de l’existence », à la semaille d’un jour neuf, à la fois fruit de la dessication de l’expérience et de l’espérance de sa reverdie comme telle et comme apparition, comme temps venu et à venir, comme réconciliation en l’être passant littéralement la chaîne des discontinuités factices, des arrachements à soi, des distinctions, des éminences, des séparations fragiles, ténues, arrogantes, étroites -et en cela astringentes-, du temps placé sous l’empire de l’humaine et vaine condition.
Or, la condition humaine n’est vaine qu’en tant qu’elle fait prospérer la conscience dépassable de ruptures en le temps que la reprise, la réanimation de ce qui fut, les retrouvailles avec ce qui est, les épousailles de l’avenir, mettent à bas comme l’invention malade d’une conscience captive du relatif impérial des arrachements, des « diabolies », des divisions qui voient la vacuité de l’être rendant au créateur, comme l’acteur du « grand théâtre du monde » de Shakespeare, Calderon, Rotrou, Antonio de Pereda, Damien Hirst ou Christian Boltanski, son manteau d’Arlequin, depuis le plateau, l’os du monde, depuis le champ des combats livrés à la marqueterie élémentaire, là où l’être se reprenant voit en tout la convocation à la reverdie, à la reprise des floraisons, observe en tout la ponctuation de ce qui, sur l’os et dans le vide putatif, est, aussitôt qu’absenté, en proie à l’ efflorescence, à la reprise par la saison une et séminale du monde.
L’oeuvre de Christelle Mally est de celles qui soulignent, comme Kierkegaard mais depuis l’entreprise objectale, la vanité de la vanité, l’outrecuidance altérée du facteur de temps, de disjonctions dans le temps, du cartographe appliquant son art désespéré à rompre la chaîne du devenir.
Ce que la nature « rend », excorié, et en quoi l’emmuré des temps disjoints, le désespéré, veut voir la vanité de son parcours en un monde fait à sa mesure angoissée, cet « os du monde » sur quoi glisse la matière emportée de son existence, de son « temps fait», cet aboutissement devenu objet, poli comme un miroir par l’orgueil persécuté de celui qui pressent les fins comme le fou la proximité des astres, comment ne pas comprendre, à le voir mis au jour, repris, reprisé par Christelle Mally, qu’il n’est au fond que la stase douce préfaçant l’éclosion folle, le perlage beau, la formidable ponctuation.
Elle reprend, elle reprise, elle rapetasse, Christelle Mally, pour accompagner depuis un mouvement comme possédé, celui du medium, celui de l’inspiré, le devenir un du monde.
Elle fait litière, semant, cousant, ponctuant, sinuant, empruntant des spirales apprises au secret des épiphanies, de la vanité des vanités.
Elle fait de l’eschatologie le champ toujours refleuri, l’os aux pores éternellement au réveil d’une éternité conçue comme éternité d’une reprise, cycle de la gifle administrée à l’arrogance syncrétique idiote de la conscience des fins.
Chaque geste plastique de Christelle Mally parle, sur un mode radicalement transcendantal, profondément ancré dans une conviction que le soubassement de l’expérience, de l’expérience des fins, en particulier, est la sensation offensante au Vain que les fins n’ont pas « lieu d’être », qu’il n’est pas en l’être de fin hors l’émergence, contiguë à la fin, d’une reprise, d’une résurgence.
Qu’il n’est de vanité que dans le refoulement pathétique et intranquille de l’expérience du ressourcement, qu’il n’est de vanité quand dans la crispation de l’expérience esthétique sur l’absence et sur l’os, que dans le geste bête par lequel le prêtre marié de Barbey d’Aurevilly, par exemple, jette aux cochons cette hostie déchargée en lui d’éternel.

Ce que nous disent dessins, photographies, vidéos de Christelle Mally, c’est la vanité du fini, l’inessentiel des fins, la fantasmagorie obscène, radicale, merveilleusement neuve et cependant apaisée par tel ancrage en une vérité de l’être, de l’éternel printemps.

Emmanuel Tugny , 23 juillet 2012.

Masque

perles de verre, fils de coton, 2011

Masques, 2011/2012


Dessin, stylo-bille, 90x 63 cm, Dunkerque

rue Feydeau, 2012

Aquarelle et stylo-bille, 90x 63 cm, Dunkerque

Analogie 2009






Titre : « Analogie ».
Médium : Animation vidéo.
Durée : 90 secondes mises en boucle.
Vidéo-projection (3 x 4 mètres.)

Dans mon travail artistique, je m’inspire de films, de documentaires, de la réalité, de photographies trouvées sur internet ou d’images de la télévision.
Pour ce projet, j’ai utilisé des photogrammes du film « L’île » du cinéaste Coréen
Kim Ki-Duk. J’ai dessiné les photogrammes un par un. Ce sont ces dessins qui forment l’animation. Je me suis intéressée à ce film car il aborde plusieurs aspects de la société coréenne contemporaine et il montre l’importance de la nature dans cette société.
Mon travail détourne le scénario original du film. Il est une transposition et une interprétation graphique. Le dessin permet une mise à distance de l’histoire.
Résumé de la séquence du film utilisée :
Un homme est sur l’eau dans une cabane de pêcheur. Des policiers à la recherche d’un fugitif arrivent en bateau pour inspecter les maisons flottantes. L’homme désespéré décide de se suicider en avalant des hameçons et leurs lignes. La propriétaire des lieux ayant anticipé les problèmes arrive avant les policiers et fait glisser l’homme à l’eau en le retenant avec les lignes de pêches. Les policiers ne trouvent personne et repartent. La femme remonte l’homme avec une canne à pêche. L’homme remonte lentement. Il est vivant. Elle retire les hameçons accrochés dans la gorge de l’homme.

Dans cette séquence, j’ai gardé les images de l’homme et de la femme. Je fais disparaître les policiers, trop liés à la narration, à l’histoire du film. Ma réalisation commence et fini par une vue en gros plan des hameçons. L’homme avale les hameçons et tire les lignes. La femme pêche l’homme et le sauve en enlevant les hameçons de sa gorge. L’animation montre le suicide d’un homme mais également la métamorphose d’un homme en un animal.Une grande partie des images utilisées sont des gros plans de corps humain ou en rapport avec celui-ci (hameçons accrochés dans la chair.) Je change radicalement l’échelle des détails.
Les gros plans de la bouche, des yeux, des mains, des hameçons sont agrandis.
(vidéo-projection de 3 x 4m.) Je cherche à créer un sentiment d’immersion chez le spectateur. Une perte de repère. Ils se trouvent devant des dessins de morceaux de corps humain hypertrophiés. L’image animée nous absorbe. Moment de tension, paradoxalement calme.
C’est l’intervention du personnage féminin qui permet cet apaisement.
Cette séquence prise isolément est violente mais elle devient supportable par la compréhension de la métamorphose. La mise à distance est également créée par l’utilisation du fusain. J’ai choisi d’utiliser ce médium pour son aspect granuleux, fragile et aussi pour son intensité dans les noirs et la force qui s’en dégage. Ces animations sur papier blanc, au fusain noir, parlent des espaces et des équilibres entre les masses (le plein, le vide.) Ce geste désespéré devient une analogie, une métaphore entre l’homme et le poisson. Un espace poétique et cruel sur la nature humaine. L’homme disparaît pour laisser place à l’animal silencieux qu’est le poisson. Cette séquence sera présentée sans enregistrement sonore, c’est une immersion dans un monde silencieux. L’homme devient un poisson. Au cinéma, le réalisateur cherche à remplir l’image, le cadre, un maximum d’informations doit être perceptible. Le vide n’existe pas. Je fais le choix d’épurer l’image cinématographique pour rendre visible ce que je perçois et ressent. Le dessin me permet d’identifier et de montrer ces éléments. Ils sont mis au premier plan. Dans le dessin, les vides sont très importants. Ils créent un équilibre entre les masses et me permettent de créer mon propre scénario.
Par des images travaillées, je montre un homme qui se suicide étrangement.
La dureté de l’action est là mais dissimulée par le dessin. Ce traitement graphique manuel abouti à une image qui semble incertaine. Les manques et la vibration des dessins apportent une fragilité au rendu de l’animation. L’homme et le poisson ne font plus qu’un. La mise en boucle de la séquence permet d’accentuer cette analogie.

Synopsis :
« L’île », 2000, du cinéaste Coréen Kim Ki-Duk.
« La belle et fantomatique Hee-jin s’occupe d’îlots de pêche au beau milieu d’un site naturel idyllique. Pour survivre, elle vend de la nourriture, des boissons et se prostitue occasionnellement. Un jour, Hyun-shik, un homme plus désespéré que les autres, débarque sur cet îlot. Il vient de tuer sa femme et recherche dorénavant un endroit pour disparaître et oublier sa peine. La souffrance de cet homme intrigue Hee-jin… »