Dans La Reprise, de
1843, Kierkegaard dit l’essentiel de ce
que le for intérieur peut, hors l’expectoration d’un objet, la fabrique
esthétique, pour dire un rapport au temps qui assure à l’être son unité au
monde des temps, des disjonctions des commencements et des termes qui fondent
l’existence.
Et ce que le for
intérieur, ce que l’intime peut en la matière, c’est se
« reprendre », c’est à dire atteindre l’os de ce qui fut pour y
travailler, sous la dictée d’une « condition de l’existence », à la
semaille d’un jour neuf, à la fois fruit de la dessication de l’expérience et
de l’espérance de sa reverdie comme telle et comme apparition, comme temps venu
et à venir, comme réconciliation en l’être passant littéralement la chaîne des
discontinuités factices, des arrachements à soi, des distinctions, des
éminences, des séparations fragiles, ténues, arrogantes, étroites -et en cela
astringentes-, du temps placé sous l’empire de l’humaine et vaine condition.
Or, la condition
humaine n’est vaine qu’en tant qu’elle fait prospérer la conscience dépassable
de ruptures en le temps que la reprise, la réanimation de ce qui fut, les
retrouvailles avec ce qui est, les épousailles de l’avenir, mettent à bas comme
l’invention malade d’une conscience captive du relatif impérial des
arrachements, des « diabolies », des divisions qui voient la vacuité
de l’être rendant au créateur, comme l’acteur du « grand théâtre du
monde » de Shakespeare, Calderon, Rotrou, Antonio de Pereda, Damien Hirst ou
Christian Boltanski, son manteau d’Arlequin, depuis le plateau, l’os du monde,
depuis le champ des combats livrés à la marqueterie élémentaire, là où l’être
se reprenant voit en tout la convocation à la reverdie, à la reprise des
floraisons, observe en tout la ponctuation de ce qui, sur l’os et dans le vide
putatif, est, aussitôt qu’absenté, en proie à l’ efflorescence, à la
reprise par la saison une et séminale du monde.
L’oeuvre de
Christelle Mally est de celles qui soulignent, comme Kierkegaard mais depuis
l’entreprise objectale, la vanité de la vanité, l’outrecuidance altérée du
facteur de temps, de disjonctions dans le temps, du cartographe appliquant son
art désespéré à rompre la chaîne du devenir.
Ce que la nature
« rend », excorié, et en quoi l’emmuré des temps disjoints, le
désespéré, veut voir la vanité de son parcours en un monde fait à sa mesure
angoissée, cet « os du monde » sur quoi glisse la matière emportée de
son existence, de son « temps fait», cet aboutissement devenu objet,
poli comme un miroir par l’orgueil persécuté de celui qui pressent les fins
comme le fou la proximité des astres, comment ne pas comprendre, à le voir mis
au jour, repris, reprisé par Christelle Mally, qu’il n’est au fond que la stase
douce préfaçant l’éclosion folle, le perlage beau, la formidable ponctuation.
Elle reprend, elle reprise, elle rapetasse, Christelle
Mally, pour accompagner depuis un mouvement comme possédé, celui du medium,
celui de l’inspiré, le devenir un du monde.
Elle fait
litière, semant, cousant, ponctuant, sinuant, empruntant des spirales apprises
au secret des épiphanies, de la vanité des vanités.
Elle fait de
l’eschatologie le champ toujours refleuri, l’os aux pores éternellement au
réveil d’une éternité conçue comme éternité d’une reprise, cycle de la gifle
administrée à l’arrogance syncrétique idiote de la conscience des fins.
Chaque geste
plastique de Christelle Mally parle, sur un mode radicalement transcendantal,
profondément ancré dans une conviction que le soubassement de l’expérience, de l’expérience
des fins, en particulier, est la sensation offensante au Vain que les fins
n’ont pas « lieu d’être », qu’il n’est pas en l’être de fin hors
l’émergence, contiguë à la fin, d’une reprise, d’une résurgence.
Qu’il n’est de
vanité que dans le refoulement pathétique et intranquille de l’expérience du
ressourcement, qu’il n’est de vanité quand dans la crispation de l’expérience
esthétique sur l’absence et sur l’os, que dans le geste bête par lequel le
prêtre marié de Barbey d’Aurevilly, par exemple, jette aux cochons cette hostie
déchargée en lui d’éternel.
Ce que nous
disent dessins, photographies, vidéos de Christelle Mally, c’est la vanité du
fini, l’inessentiel des fins, la fantasmagorie obscène, radicale,
merveilleusement neuve et cependant apaisée par tel ancrage en une vérité de
l’être, de l’éternel printemps.
Emmanuel
Tugny , 23 juillet 2012.
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